Mon combat pour les terres

Une histoire personnelle qui relate comment les querelles au sujet des terres peuvent déchirer des familles entières.

Mon combat pour les terres

Une histoire personnelle qui relate comment les querelles au sujet des terres peuvent déchirer des familles entières.

La terre est le bien le plus important qu’une personne puisse posséder en République démocratique du Congo, RDC. Quand nous avons des terres, notre vie est assurée, nous disposons d’un moyen permanent de gagner de l’argent. Nous pouvons construire des maisons sur les terres ou agrandir les maisons déjà existantes. En faisant payer un loyer aux gens qui vivent sur nos terres, nous pouvons gagner de l’argent pour subvenir à nos besoins. Sur ces terres, nous pouvons aussi faire des cultures pour notre propre subsistance, ou pour vendre sur le marché. Comme la paix est revenue à Goma, les prix des terres ont commencé à augmenter. Une parcelle bien située atteint facilement les 4000 dollars au mètre carré. Voilà pourquoi les terres peuvent avoir un pouvoir si destructeur. Elles peuvent déchirer des familles entières ou même pousser les membres d’une même famille à s’entretuer. Les terres sont effectivement très précieuses. Et, sans terres, la survie dans ce pays devient très difficile. Je suppose que c’est pour cette raison j’étais prêt à supporter une telle pression, à subir des menaces et même des attaques, pour protéger ma part de nos terres familiales des revendications de mes demi-frères. Mais, au bout d’un moment, j’ai pensé que cela ne pouvait plus durer, que les tentatives d’intimidation étaient devenues trop insupportables. Mon père est polygame. Il a plusieurs femmes qui vivent avec lui sur la même parcelle, et qui lui ont donné de nombreux enfants. Or, chaque membre de la famille pense qu’il a droit à une partie des terres. Même si mon père est toujours en vie, les querelles au sujet de l’héritage durent depuis des années. Mes demi-frères ont pensé qu’ils avaient droit à une partie des terres après que mon père se soit séparé de leur mère il y a 26 ans. Ils ont insisté sur le fait que les terres auraient du faire partie de l’accord sur le divorce, une revendication contestée par mon père. Je n’ai jamais été particulièrement proche de mes demi-frères. En 1996, alors que j’avais tout juste 15 ans, j’ai été kidnappé et forcé à me battre comme enfant soldat dans les forces armées rwandaises. Mes demi-frères ont utilisé cette histoire personnelle contre moi, afin de m’évincer de tout droit à obtenir une partie des terres. Ils m’ont accusé d’avoir déserté l’armée et ont prétendu que j’avais des armes dans ma maison. Il n’y avait rien pour étayer ces accusations, mais ils ont tout de même mis ma vie en danger et rendu les choses très difficiles pour moi. En conséquence de cela, j’ai été plusieurs fois détenu par la police militaire qui venait régulièrement chez moi la nuit, le plus souvent vers une ou deux heures du matin. Parfois, ils passaient même toute la nuit devant ma porte d’entrée. J’avais très peur. J’avais entendu des rumeurs selon lesquelles la police militaire était responsable de la disparition ou de l’enlèvement de personnes de l’opposition, comme par exemple les défenseurs des droits de l’homme. Mes demi-frères ont ensuite intenté une action en justice devant le tribunal de Goma, réclamant les terres de mon père. Cette revendication n’ayant pas abouti, ils ont alors décidé de porter l’affaire devant la Cour d’appel. Cette dernière a également rejeté leur demande. Ils se sont alors dirigés vers le tribunal d’instance, qui a conclu que mes demi-frères avaient droit à ces terres. Ils ont ensuite procédé à la vente. Je n’ai pas été surpris en apprenant que le juge qui avait traité l’affaire au tribunal de Grande instance a été démis de ses fonctions dans le cadre de la purge anti-corruption au sein du système judiciaire ordonnée par le Président Joseph Kabila. Un avocat m’avait conseillé de porter plainte contre mes demi-frères auprès du bureau de l’auditorat militaire de Goma, pour harcèlement injustifié. Mais la plainte n’a finalement pas abouti. C’est à ce moment-là que mon courage m’a complètement quitté. Alors que je me battais contre la vente des terres de mon père, les visites de la police militaire en plein milieu de la nuit ne cessaient de s’intensifier. Finalement, les choses ont pris trop d’ampleur et j’ai décidé d’aller me cacher jusqu’à ce que le problème soit résolu ou au moins que les choses se calment un peu. Cela a donné à mes demi-frères la victoire dont ils avaient besoin pour achever la vente des terres. Après la vente, il ne me restait pas grand’ chose à faire. Le terrain a sans doute été vendu pour plus de 100 000 dollars. Mes demi-frères avaient désormais l’argent et je n’avais rien pour payer les frais de justice. Même après cela, mes demi-frères n’ont voulu prendre aucun risque. Pour me dissuader de continuer à m’opposer à eux, ma maison a été détruite et tous mes biens qui s’y trouvaient ont été incendiés. Suite à cela, je me suis demandé si la justice existait vraiment dans le pays, ou si elle existait uniquement pour ceux qui ont de l’argent. Je pense qu’il faut faire le ménage au sein du système judiciaire, se débarrasser de ces magistrats corrompus qui ont servi sous l’ère Mobutu Sese Seko, l’ancien président de la RDC. Il faut les remplacer par de nouveaux magistrats, tout juste sortis de formation et qui ne seront donc pas susceptibles de corruption. C’est pourquoi je salue l’initiative entreprise par le président Kabila de réformer le système judiciaire du pays, en renvoyant les magistrats corrompus et en les remplaçant par d’autres. Mais j’irais même plus loin. Je pense qu’il est temps de mettre en place une association d’avocats, qui serait capable de représenter devant les tribunaux les gens qui, comme moi, se voient refuser l’accès à la justice parce qu’il n’ont pas les moyens d’avancer les frais.
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